" Le pouvoir " de greffer les arbres fruitiers

 

>> La greffe en fente et la greffe en incrustation s'opèrent toutes deux en insérant une portion de rameau sur une tige. Quelle est la meilleure ?

La greffe en incrustation est très pratiquée par les professionnels qui la considèrent comme supérieure. En incrustation, on enlève un coin de bois pour y plaquer un greffon taillé en pointe. A la fente, le même greffon est coincé par le bois qui a été fendu. Personnellement je pratique peu la greffe en incrustation qui est moins efficace que les greffes anglaises pour les petits diamètres. Pour les diamètres plus importants, la greffe en fente donne de bons résultats tout en étant plus facile à exécuter. Car dans tous les cas, ce sont les couches de " cellules génératrices " qu'il faut faire coïncider et non pas l'extérieur des écorces du greffon et du porte-greffe.

>> On peut sur-greffer un arbre parce qu'il est peu productif ou parce que ses fruits ne sont pas très intéressants. Quand peut-on sur-greffer et comment ?

Le sur-greffage s'exécute en insérant le greffon sous l'écorce du porte-greffe (entre l'écorce et l'aubier), il faut donc très logiquement que le porte-greffe soit bien en sève afin que l'écorce puisse être décollée sans être cassée. La greffe sera réalisée en trois temps : En décembre, on rabat le porte-greffe, mais en prenant soin de laisser environ 20 centimètres de bois au dessus de l'emplacement des futures greffes. En janvier ou février, on collecte les greffons de la variété à reproduire qui sont stratifiés dans du sable frais (au pied d'un mur exposé au nord par exemple). Quand les arbres sont en fleurs (les poiriers avant les pommiers), chaque branche est recoupée de 20 cm. On greffe alors en couronne, en insérant jusqu'à quatre ou cinq greffons pour une couronne grosse comme le bras, afin de reconstituer à chaque fois plusieurs charpentières. L'énorme avantage du sur-greffage, c'est qu'il permet à l'arbre de fructifier abondamment seulement deux à trois ans après la greffe.

>> Quelle est la greffe dont vous êtes le plus fier ?

Les belles greffes sont éphémères, et les vilaines aussi d'ailleurs !
C'est un peu dommage car avec le temps, les belles cicatrices s'estompent et finissent par ne plus être visibles du tout. Je ne suis pas fier d'une greffe en particulier, toutes les belles greffes me plaisent, mais je suis fier d'avoir rencontré de très bon greffeurs, qui à l'occasion d'une bourse aux greffons me demandaient de greffer pour eux, " à ma façon ", un ou deux fruitiers.

>> Pourquoi cette passion pour la greffe ?

Apprendre à bien greffer c'est acquérir " le savoir " ou " le pouvoir ", non pas dans le sens du pouvoir de l'expert, qui bien souvent perché dans sa tour d'ivoire se refuse à divulguer sa connaissance et ses méthodes, mais dans le sens de " pouvoir le faire " : être capable de reproduire telle ou telle variété méritante, ou mieux, des végétaux qui n'existent qu'en un seul exemplaire au monde ou menacés de disparaître, et que seul le bon greffeur pourra sauver d'une disparition certaine.
Savoir greffer, n'est-ce pas finalement un pouvoir magique ?


Jean-François Bourlès,
propos recueillis par Agnès Ducaroy